Retour d'exposition - Chanel pour la réouverture du Palais Galliéra

Ca faisait longtemps que je n'avais pas pu vous parler d'expositions... et franchement ça m'avait manqué ! Première de l'année (et espérons pas la dernière), c'est Gabrielle Chanel - manifeste de mode que je suis allée voir à Galliéra.

Du noir et blanc... mais surtout du noir

Ah, Galliéra... j'en ai déjà parlé ici. Souvent. Le plus souvent en grinçant des dents. J'avais de légers frémissements d'espoir avec le changement de direction et la rénovation...
La barre n'était pas très haute, mais on est encore en-dessous. L'exposition est sombre. Très sombre. Vraiment très très sombre. Murs noirs, éclairage chiche. On ne change pas une équipe qui nous casse les pieds et on laisse les textes au niveau du sol, avec un éclairage qui fait qu'on leur fait de l'ombre quand on se penche pour les lire.
Pas de miroirs pour profiter de l'arrière des robes, présentées dos au mur - dommage si on veut voir plus que la moitié avant ou la moitié arrière d'un vêtement.
Toutes mes photos ont été retouchées pour la luminosité. Toutes.

Petit mieux, les aménagements les plus absurdes de certaines expos précédentes (les tiroirs, les vitrines posées sur des tréteaux et les fausses cloisons) ont disparu, je ne les ai pas regrettés.
... même celle-ci. J'vous jure.

Les nouvelles salles sont chouettes, mais très peu éclairées elles aussi - certaines robes dans les coins de la grande salle du sous-sol n'ont carrément aucun éclairage, on s'aperçoit à peine qu'elles existent. Là pour le coup il y a des miroirs... qui nous font nous demander où s’arrêtent les robes et où commence leur reflet, façon galerie des glaces. Et sans lumière, le dos des mannequins reste... sombre.
Une légère impression de confusion...

La circulation dans les salles n'est pas fabuleuse (mais là aussi, ça a été pire), on était bien serré-e-s quand même pour une période de pandémie. La présentation est minimaliste, ce n'est pas plus mal.
Je note quand même que le musée s'est enfin rangé aux directives nationales et qu'on peut photographier (sans le flash, Karen !), youpi !
(absence totale de gardiens pour faire respecter l'absence de flash d'ailleurs)

Des merveilles de perles et de tissus

J'insère ici un disclaimer : je ne suis pas du tout fan de Chanel.
Mais...
Mais la première partie de l'expo, notamment, est remplie de pièces superbes, des merveilles de finesse, de coupes imbriquées, d'embellissements à n'en plus finir - broderie, plumes, franges, perles, franges de perles... (mais du coup, le mythe de la simplicité Chanel en prend un coup... peut-être nuancer un peu les arguments, ça serait une bonne idée ?)
Presque rien avant les années 1920, un seul chapeau comme trace du travail de modiste de Gabrielle Chanel, c'est dommage quand même. Mais les décennies 1920 et 1930 sont très très bien pourvues, et la plupart des robes dans un état de conservation stupéfiant.
Les salles consacrées à la production Chanel d'avant 1939, au rez-de-chaussée, ont été de loin mes préférées. Le sous-sol se focalise plus sur les tailleurs et la mode d'après 1954 et là, je suis personnellement moins fan, idem pour les bijoux - mais ça ça relève de mon goût personnel.

Le contenu pédagogique ? Quel contenu pédagogique ?

L'entreprise Chanel a contribué à la rénovation du musée et à l'ouverture de nouvelles salles en sous-sol. Avec à la clé une exposition de commande, qui caresse la marque dans le sens du poil... et pas grand chose d'autre.
S'il y a bien une chose qu'on doit reconnaître à Gabrielle Chanel, c'est son talent pour se créer une carrure de personnage mythique et révolutionnaire. Mon avis personnel est qu'elle était beaucoup plus consensuelle et dans son époque que ce que la légende essaie de nous vendre... mais pour juger de ça, il faudrait avoir des tenues d'autres créateurs pour comparer. Par exemple un plissé de Madame Grès à côté d'un de Chanel qui... ressemble furieusement à du Grès.
Son sens du marketing, son flair pour profiter de toutes les opportunités commerciales, il y aurait eu des choses à dire. Mais c'est vrai que ça gâcherait un peu l'idée d'une génie de la mode tombée toute formée de l'Olympe. Mieux vaut dire que son inspiration révolutionnaire l'amène à Biarritz, plutôt que de considérer que c'est une retraite prudente de personne très très privilégiée face à la Première Guerre Mondiale - du soleil, un approvisionnement fiable venant d'Espagne, et la jet-set réfugiée là comme clientèle.
Parler de patrons, de coupe, de travail d’embellissement, j'aurais aimé voir plus de choses que juste 5 secondes de vidéo en noir et blanc, pour honorer un peu les ouvrières qui ont réalisé ses merveilles. On ne voit dans cette exposition que des robes finies, pas de toiles, d'échantillons, presque pas de croquis. Le travail de toute personne hormis La Créatrice est totalement effacé.
La complaisance arrive à son comble avec la Seconde Guerre Mondiale. On évoque pudiquement la relation de Chanel avec un officier allemand. Exit sa tentative de déposséder les propriétaires majoritaires des parfums Chanel via les lois antisémites. Exit sa collaboration très active. Sous le tapis. J'en suis encore furieuse.

Le catalogue

La même omission coupable se retrouve dans le catalogue, juste une ligne sur son arrestation en 1944, qui laisse à penser qu'elle a été libérée parce qu'innocente...
Le livre lui-même veut très fort être un bel objet, et surtout un bel objet. C'est grand, c'est lourd, c'est épais (ça a l'air relié correctement, un progrès pour Galliéra), ça fait des fantaisies de couverture, c'est d'un noir et blanc chic. Le contenu est... moyen.
Les textes sont plus intéressants et informatifs que ceux de l'exposition... bon ok, là aussi la barre était basse. S'il n'y a pas vraiment, de ce que j'ai parcouru jusqu'ici, d'analyse critique du mythe Chanel, il y a plus de faits et moins d'envolées lyriques absconses.
(Sérieusement, arrêtez avec les textes pompeux qui n'ont aucun sens, et qui se contredisent au sein d'un même paragraphe, même le gouvernement fait plus cohérent des fois !)
Les photos sont en pleine page, et il y en a pas mal... MAIS.
Sans atteindre les abysses du catalogue d'Anatomie d'une collection, il y a un parti pris de l'esthétisme plutôt que la documentation - on pourrait dire que c'est l'optique générale du musée, depuis quelques années, et je n'ai pas de mots pour exprimer à quel point ça me met en rage.
Le résultat, ce sont des photos grainées, floues, des cadrages absurdes, des gros plans là où il n'en faut pas, des images encore plus sombre que l'expo elle-même, des robes prises en contre-jour, des photos inexplicablement en noir et blanc...
Cette robe est une tuerie. On la distingue à peine dans le noir, et ses photos dans le catalogue ne valent rien.


Au final, j'ai pris un certain plaisir à visiter l'exposition, et à parcourir le catalogue,  mais je ne la recommanderais pas pour autant.
Juste pour voir de belles choses, il y a de plus belles expositions et de chouettes musées à Paris, où l'on se tue moins les yeux dans le noir, et où l'on apprend vraiment des choses.

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