Mon projet au long cours, en costume historique, c'est de
reconstituer une garde-robe "idéale" des années 1893-1898. Parce que c'est mon dada et sans avoir aucune finalité pratique, hormis l'amour de la période et la joie de farfouiller dans les sources anciennes.
Je parle de garde-robe
idéale, voire
théorique, parce que je travaille beaucoup avec des magazines de mode de l'époque. Et que les magazines de mode et la vie, ce n'est pas tout à fait la même chose.
(coucou le Hive Mind avec le dernier article de Costumière Hystérique)
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Chose totalement sobre et classique portée par Madame Toulemonde #ironie
La Mode Illustrée, février 1894 |
Le thème du jour de CoBloWrimo, c'est les sources visuelles, autrement dit l'occasion parfaite de compiler ce que j'ai pu trouver dans les magazines anciens pour mon projet de blouse "russe".
Le chic de la petite blouse folk
La blouse "russe", ou blouse "moujik" (
petit rappel de ce qu'est un moujik, pour ceux qui ne se souviennent plus de leurs cours sur la révolution russe), parfois c'est "slovake" aussi - les magazines ne semblent pas faire beaucoup la différence.
Ce qui est
hype, c'est de récupérer les modes du costume folklorique, plus ou moins directement. Si on veut trouver des exemples célèbres, on a Elizabeth d'Autriche "Sissi", qui se faire couronner reine de Hongrie dans une tenue très inspirée du costume traditionnel hongrois. Un joli coup de propagande, taillé par Worth, qui lui vaudra un certain succès auprès des Hongrois.
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Photo de Sissi dans sa tenue de couronnement, 1867, |
Une autre tête couronnée s'affiche en tenue traditionnelle, Marie (Alexandra Victoria) d'Edimbourg (ou de Saxe-Cobourg-Gotha, selon la date), future reine de Roumanie. On commence à trouver des photos d'elle en costume traditionnel roumain dès le début des années 1890, quand elle épouse le dauphin. Là encore, c'est une façon pour une étrangère de se faire mieux accepter par la population locale.
Marie utilise directement le costume complet, sans adaptation par un grand couturier, sur ces photos.
Pendant ce temps (je ne me risquerai pas à chercher des liens de cause à effet), on trouve dans les magazines de mode des tenues inspirées de costumes traditionnels.
A gauche, photo de M. Dmitrieva, Nijniy Novgorod, 1898-99
A droite, robe de garçonnet avec "galon brodé au point russe"
Le modèle principal est la chemise d'homme du traditionnelle russe. La mode en conserve la fermeture asymétrique, le côté blousant, l'usage d'une ceinture et les bandes décoratives, parfois en galon, souvent avec des broderies, "russes" elles aussi - visiblement, plutôt des motifs au point de croix.
Le chemisier traditionnel féminin, lui, semble moins séduire les
fashionistas d'Europe de l'Ouest.
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Gauche et milieu : tenues traditionnelles d'Europe de l'Est, vers 1900, Augusta Auctions
A droite : les méandres de Pinterest me disent que ça vient d'Ukraine |
Par contre, quand on parle de faire semblant d'être un vrai russe, ça donne quelque chose de tout à fait différent :
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La Mode Illustrée, janvier 1894 |
Pour bien clarifier le contexte : ce dessin est présenté fin janvier, à la période où les magazines préparent Carnaval, avec toute une série d'autres déguisements pour enfants. Ce n'est
pas une tenue de tous les jours.
(Et ça ne ressemble pas vraiment à ce que j'ai pu trouver sur le vrai costume traditionnel russe, au passage)
On retrouve l'inspiration des costumes populaires régulièrement - je suis par exemple tombée sur ça, au détour d'une page :
A gauche, un "costume de sport pour petit garçon de 9 à 10 ans (
La Mode Illustrée, avril 1897), à droite, deux hommes en costume traditionnel bavarois, vers 1890 (Wikipedia). Je vous laisse faire le jeu des 7 erreurs.
Chemise d'homme, tunique d'enfant, corsage de femme
La chemise d'homme russe traditionnelle se fait reprendre à toutes les sauces. Elle est très présente dans les costumes d'enfants, de petits garçons surtout.
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La Mode Illustrée, juin 1893 |
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Le Petit Écho de la Mode, avril 1894 |
Parfois, le petit garçon porte la blouse russe en version robe, mais le plus souvent c'est avec une culotte courte et bouffante aux genoux en-dessous.
Pour les petites filles, on rend ça un peu plus chwanana avec un col double. Mais on garde la fermeture asymétrique du corsage.
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La Mode Illustrée, avril 1894 |
Par contre, plus de ceinture sur ce modèle : c'est une robe en deux pièces en fait - la blouse elle-même, froncée par un élastique à la taille*, et dessous une jupe accrochée à un corsage de dessous. De la blouse russe de tricheurs, quoi.
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La Mode Illustrée, mars et avril 1892 |
Pour les dames, la forme russe se retrouve en corsage, parfois assorti à la jupe, parfois "disparate", ou en haut de robe. On conserve l'ouverture latérale et les bandes décoratives, en général aussi la ceinture. La blouse se prolonge en-dessous de la ceinture - posée par-dessus la jupe ou cache dessous.
Pour finir, on retrouve aussi des inspirations russes au rayon maillots de bain :
*oui, j'ai trouvé deux mentions d'élastiques pendant ces recherches. C'est un matériau relativement nouveau et qui apparaît du coup timidement dans la mode. Ca ne veut pas dire qu'il faut en mettre partout, merci.
Chemise d'homme vs. blouse de femme
Concentrons-nous sur la mode féminine pour le moment.
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Le Petit 2cho de la Mode, mars 1894 |
La patte fermeture décalée sur le côté, avec un tissu contrastant ou un galon, se retrouve parfois sans certaines autres caractéristiques. Les légendes n'indiquent pas toujours le caractère "russe" du vêtement en question.
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A gauche, robe en lainage à carreaux - La Mode Illustrée, mai 1892
On retrouve les manches amples, la fermeture asymétrique et les bandes décoratives, mais le haut de la robe est ajusté par des pinces à la taille plutôt que resserré par une ceinture. |
Vers 1894, les formes inspirées de la chemise d'homme semblent disparaître, et sont remplacées par des blouses avec de larges bandes de broderie.
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La Mode Illustrée, juillet 1894 |
Le dessin ci-dessus montre quelque chose qui ressemble à de la broderie anglaise, mais le texte mentionne notamment le point croisé, qui est moins dans la petite fleur et plus dans la ligne droite :
Point croisé, recto et verso (source)
Les autres modèles sont des adaptations beaucoup plus littérales des blouses féminines d'Europe de l'Est.
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La Mode Illustrée, avril 1897 - on rajoute un petit col chwanana et de la dentelle |
Je n'ai plus trouvé de blouses russes pour femme avec ouverture latérale après 1894 - ça ne veut pas dire grand chose. Peut-être que le concept de blouse russe change à cette période. Peut-être que c'est un simple biais statistique, je n'ai pas non plus pléthore d'exemples à me mettre sous la dent.
Choix de reconstitution
Pour le modèle sur lequel je travaille, j'ai fait un mélange entre plusieurs inspirations.
Pour commencer, je voulais une blouse lavable, en tissu léger. J'ai trouvé un voile de coton brodé à la machine façon point de croix, que j'ai complété avec un voile de coton uni. Sur les trois modèles dont je m'inspire,
un seul comporte une précision de matière - nansouk dans la légende, batiste dans le texte
(quoi, la cohérence ? QUELLE cohérence ?). On va dire que je ne suis pas trop loin.
J'ai aussi gardé l'idée d'un dos avec de grands plis plats.
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La Mode Illustrée, juin 1895 |
vu le type et la taille des bandes brodées à ma disposition, c'est surtout le modèle ci-dessus qui me sert de base. Sauf que je travaille avec un coton léger, qui ne me donne pas du tout le tombé qu'ont les manches sur le dessin (en même temps, quand on voit les problèmes d'anatomie des dessins, on relativise leur réalisme)...
J'obtiens plutôt ça, comme forme :
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Méandres de Pinterest... si quelqu'un a une source, je suis preneuse |
Voilà pour le moment où en sont mes recherches sur le sujet. La partie pratique est en pause pour quelques jours, et j'ai encore quelques reliures à éplucher - mais comme ce sont celles sans sommaire, ça va prendre plus de temps.
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