HSM'15 - Guerre et Paix - Une blouse ample en coton, 1917

J'évoquais vendredi la modernité des vêtements de la Belle Epoque - mise en application à l'appui avec la dernière réalisation tout juste sortie de l'atelier, une blouse d'après un modèle de 1917.
Tous les jolis chemisiers dans mon volume 1917 de La Mode Illustrée me faisaient de l’œil depuis un moment. De la souplesse, de l'élégance toute simple, et puis un chemisier, ça se porte plus facilement qu'une robe longue au jour le jour. Avec une fin de rouleau d'une sorte de crépon de coton très souple, j'ai décidé de faire un deux-en-un blouse 1917 - robe de plage pour l'été. J'adore l'historique, mais si je peux porter les pièces de costume au quotidien c'est encore mieux ! Le tissu clair et léger sera parfait pour une tunique ample, vite mise et vite enlevée, pour protéger des coups de soleil au sortir de l'eau.
Mais aujourd'hui, nous sommes partis en séance photo dans une ambiance plus rétro.
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Pour celles et ceux qui prennent le train en route, cette blouse est mon entrée pour le défi du mois d'avril du Historical Sew Monthly 2015, initié ici par Leinomi de The Dreamstress, un blog passionnant qui parle couture et Histoire de la Mode.

Le Challenge d'avril : Guerre et Paix

Ma petite blouse est l'occasion de se pencher un peu sur le costume et la mode des magazines pendant la première guerre mondiale.

Autant casser le mythe tout de suite : la première guerre mondiale n'est pas une "révolution" pour la mode. Le costume y évolue, comme il évoluait avant et continue d'évoluer après. Le corset ne disparaît pas brutalement, il y avait déjà des voix en faveur de son abolition avant. En 1917, la Mode Illustrée est encore pleine de publicités et de modèles de corsets - je devrais en avoir un sur les photos, oui. C'est moins flagrant parce que les vêtements sont amples et que la forme du corset de 1917 laisse la poitrine libre, c'est tout.
Les effets de la guerre dans la mode ? Dans les modèles présentés, la mode est plus sobre : deux robes de mariée seulement en un an, en précisant que "les robes blanches ne sont pas dans des étoffes somptueuses et riches" (décembre 1917). Les robes de bal, de dîner, de théâtre, d'opéra et de soirée sont carrément inconnues au bataillon de la table des matières - "la guerre a supprimé toutes les réunions mondaines [...] ; il en résulte que peu de personnes mettent des robes d’après-midi élégantes, comme celles qu'elles avaient coutume de porter jadis pour faire des visites ou en recevoir, pour assister à des concerts ou de petites dîners." (janvier 1917). Les blouses sont très, très nombreuses dans ce volume, avec un long article qui leur est consacré en avril, et les chroniqueur-se-s chantent les louanges de leur aspect pratique à tout va.
Quant à l'intérieur du magazine proprement dit, les chroniques de mode invitent à l'économie dans le vêtement (rien de nouveau sous le soleil dans ce domaine, c'est un classique du magazine). Le ton change bien sûr dans les éditos, patriotiques et pontifiants sur les valeurs et devoirs des femmes restées à la maison avec une économie réduite. Les articles sur les tâches domestiques font sentir que l'on a réduit son train de vie : les tutoriels sur les tâches de fonds plus pénibles, les recettes alternatives pour cuisiner sans viande ni beurre, les trucs pour économiser le charbon et le gaz remplacent les abat-jours brodés et les listes de cotillons et autres jeux pour animer les soirées dont le magazine est coutumier avant-guerre.
Un vêtement à proprement parler de guerre, non, mais cette blouse est représentative d'un type de vêtement pratique, quotidien, qui constituait vraisemblablement la majeure partie de la garde-robe d'une femme de l'époque.

Le tissu :

C'était une fin de rouleau chez mon fournisseur, qui se languissait tristement sur une étagère. Il n'avait pas mérité ça ! C'est un coton très léger et très souple, le genre idéal en cas de grosse chaleur, dans un ton crème qui va avec tout mais avec un intéressant jeu de relief qui crée de larges rayures que l'on voit sur les gros plans.
On fait des "blouses de toutes sortes, depuis les blouses de soie souple [...] jusqu'aux blouse de voile de soie et serge, en crêpe de Chine et drap, [...] de linon blanc joliment garnies et plis, d'netre-deux de filet ou de Valenciennes, de blouses brodée, des blouses de voile de coton bleu pâle; mauve, soufre, qu'agrémentent des parures de lingerie blanche."
Qu'il s'agisse de soie ou de laine, d'une étoffe opaque ou d'une étoffe diaphane, le tissu qu'on choisit pour faire une blouse doit toujours être souple. [...] Vous trouverez des mousselines de laine ou de petits crépons à prix abordables, du voile de laine et du voile laine et soie, du voile de soie et de la mousseline qui servent à exécuter les blouses élégantes [...]. Pour les blouses lavables, agréables à porter par les journées chaudes, vous aurez de jolies indiennes à fleurs, des voiles de coton unis, à rayures, ou semés de pois, des crépons fleuris, de la mousseline."
La Mode Illustrée, 1er avril 1917

Patron :

Je n'ai pas pu retrouver le patron en ligne, mais le numéro de La Mode Illustrée comprenant un diagramme avec des explications. Je m'en suis servie comme base, avec plus ou moins de bonheur - la prochaine édition de ce patron sera un poil moins bouffante dans le corps. Les empiècements sur l'épaule ont aussi tendance à glisser vers l'arrière, ce n'est pas gênant en soi, mais la perfectionniste que je suis le corrigera dans une autre version
1917-04-01-blouselongue 1917-04-01-blouselongue-pattern
La Mode Illustrée, 7 janvier 1917
Ce qui est rigolo avec ce modèle, c'est que la description dans le texte ne correspond pas à celle quelques pages plus loin :
Blouse longue en soie souple.- Le cachemire de soie sera employé pour cette blouse, la jolie retombée du tissu mettra mieux en valeur la forme gracieuse du modèle très flottant; cette tunique siéera [sic] surtout aux femmes minces. A l'encolure l'ampleur est régularisée par plusieurs rangs de fronces qui simulent une patte d'épeule. Sur ces fronces est posé un petit galon de soie d'un quart de centimètre à peine qui dessine une sorte de grecque. Ce galon, choisi du même ton que le cachemire, est égayé par un fil d'argent ou d'acier. Les manches longues vont s'élargissant dans le bas et s'achèvent par un poignet froncé. Négligemment nouée devant, la ceinture est faite d'une bande de cachemire taillée droit fil et dont les extrémités sont garnies de tresses semblables à celles qui ornent l'encolure du milieu du dos, la fermeture de la blouse longue est dissimulée parmi les fronces.
Métrage : 2m50 de soie en 110.
Pour faire plus simple, et parce que je voulais un vêtement facile à entretenir, je n'ai pas fait le délicat travail de faux smocks de la description. A la place, j'ai fait un empiècement avec la forme globale de la pièce 3 du diagramme, coupé en double pour prendre en sandwich les bords froncés du tissu. Ça colle avec les recommandations d'un long texte du mois d'avril sur les blouses : "on fait presque toutes les blouses avec des pattes d'épaules".
J'ai fait ma ceinture toute simple aussi. Elle est fixée à la blouse au niveau des coutures de côté.
Notons au passage que la blouse n'est pas doublée, je renvoie au même numéro du magazine :
1917-01-07-dessousblouse
La Mode Illustrée, 1er avril 1917
Seulement, les grandes maisons de couture ne font pas de corsage doublés parce que leurs lignes raides et précises seraient en désaccord avec la silhouette en vogue, et que personne ne se déciderait à les porter.
La Mode Illustrée, 7 janvier 1917
Pour compenser, l'article suggère des cache-corsets "enjolivé[s] de guipure, de broderie ou de dentelles", avec "des broderies ou des dentelles dont les dessins seront assez accusés pour qu'ils gardent une certaine valeur sous la transparence de l'étoffe". On peut aussi porter des "dessous de blouse", avec dans ce cas un cache-corset discret sous le dessous de blouse (ce qui nous amène donc, avec la chemise et le corset dessous, à 5 épaisseurs, sur lesquelles ont peut encore mettre une veste et un manteau... bonne alternative au damart + pull en laine, et plus élégant).

Mercerie :

A part le fil et le fin ruban de sergé de coton sur lequel j'ai fixé les fronces de la taille (j’avoue, j'ai eu envie de mettre un élastique, j'ai opté pour la durabilité au final), trois petits boutons issus du stock de Grand-Mère.
Comme je n'ai pu dénicher que trois boutons assortis, la blouse ne s'ouvre pas sur toute la longueur mais seulement en haut du dos, et s'enfile par-dessus la tête (pratique, la plage, vous vous souvenez ?). Le reste est une ouverture "pour de faux", simplement cousue en position fermée.

C'est histo comment ?

A part le plastique des boutons et la fermeture du dos, c'est une pièce que je n'hésiterais pas à mettre dans un cadre de reconstitution historique - en soignant un peu plus le reste de la tenue : un corset, des jupons, une jupe de la même époque (là je suis encore en 1898 du bas !), et un plus gros effort de coiffure.

 

Temps de réalisation :

A la louche 4 à 5 heures (hors temps de recherche), avec le temps de patronage et un peu de travail à la main pour les fronces et les empiècements. L'ajustage des fronces à la taille a été plus laborieux que ce que j'aurais pensé au premier abord. Les boutonnières par contre sont faites à la machine).
Le collier est un collier d'époque, héritage familial
Jupe 1898 en laine aussi de ma réalisation
Photos par le Geek Domestique

Estimation du prix :

Petit calcul rapide du prix d'une pièce de ce type à la commande - celle-ci n'est pas à vendre, je peux en refaire une similaire maintenant que j'ai fait les recherches préliminaires.
2,20 mètres de tissu = 15 €. Mon tissu est plus large que ceux d'époque, et même en faisant la blouse un poil plus longue je gagne un peu sur le métrage.
Mercerie moins de 5 €.
Main d’œuvre 120 à150 €.
Donc un total de 140 à 170 €.

Plus de photos sur mon FlickR ici.

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