Le prix de l'artisanat

Une chose qui m'a donné (et me donne encore) beaucoup de mal ces derniers temps, ce fut de fixer les prix pour mes gravures (et pareil pour mes autres produits, mais considérons simplement les gravures pour aujourd'hui). Il y a bien sûr plein de tutos, de formules plus ou moins magiques et guides bien intentionnés qui circulent sur le web. Mais la vérité, c'est qu'il faut sans cesse jongler, adapter.

Mais je paye quoi en fait ?

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Chat de Cheshire, linogravure et collagraphie, trois couleurs,
5/8, détail
A partir des pistes et renseignements que j'ai rassemblés, je me suis créé mes outils pour calculer, dans une certaine mesure, le coût de revient de mes oeuvres et la marge éventuelle que j'en dégage. Le calcul de base inclut les matériaux, l'emballage et les frais de port éventuels. C'est forcément approximatif (combien de tirages de tailles différentes dont j'ignore encore en quelle couleur je les ferai vais-je faire avec ce tube d'encre bleue ?). J'essaie de chiffrer au plus juste pour chaque oeuvre, bien sûr. 20 centimes de papier. Trois fois 11 centimes d'encre. Un euro de linoléum. 44 centimes pour les plaques qui me servent au calage. 40 centimes d'emballage. Le prix des matériaux bruts de mon chat de Cheshire est d'un peu moins de 2,50 euros. Que je multiplie par 3 pour inclure les épreuves d'artistes (les gravures de "test", du motif, de la couleur, du calage) et les ratés - ces gravures qui me prennent du temps et du matériel mais qui finiront à la poubelle (il y en a, toujours quelques unes). Pour financer aussi le fonctionnement de mon atelier, ce qui se laisse difficilement répartir par oeuvre produite : ce que je dois payer pour avoir accès à un atelier pour l'eau-forte (250 euros par an), les chiffons, le papier absorbant, les solvants, l'usure, le renouvellement et le stockage de mes outils.
Sur les 40 euros du prix de vente (hors cadre), à peu près un quart ira à l'Etat à titres de charges et impôts. Il me reste donc quelque chose comme 22,50 euros pour me payer mes heures de travail.
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White Love, gravure sur plaque de gomme,
1/3, détail

Ca prend du temps tout ça

Un peu plus de deux heures au SMIC, pour une gravure qui comprend trois plaques gravées par mes soins (à répartir sur le nombre de gravures produites : huit), trois passages pour l'impression (pour chaque gravure produite. Pour note, encrer et imprimer une plaque de ce format, c'est entre 5 et 10 minutes, temps d'installation et de nettoyage non compris.
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Plaque de linoléum en cours - voilà ce que j'ai gravé dimanche
après-midi en démonstration sur mon stand.
Je ne chiffre pas plus précisément mon temps de travail. j'ai essayé, mais je travaille à la maison, avec deux enfants de moins de quatre ans qui me laissent plus ou moins de répit selon les jours et leur humeur. Certains jours je vais pouvoir graver pépère pendant 20 minutes d'affilée (c'est à peu près le max, et c'est déjà pas mal), certains autres il me faudra m'interrompre toutes les minutes pour tailler un crayon, faire un bisou sur une bosse, amener aux toilettes, arbitrer une dispute, lire une histoire... Je ne sais pas comment compter les heures à esquisser des idées pour une plaque ou  une illustration, les recherches préalables.
Je ne compte pas non plus le temps passé à prendre des photos, à scanner, à mettre en ligne, à rédiger les descriptions à la fois alléchantes et précises pour la boutique (en deux langues, parce que je n'ai pas les épaules pour le faire aussi en Allemand, même si je gère aussi les transactions dans cette langue). Je ne compte pas le temps passé à animer ce blog ni à construire mon site (je ne compte pas celui de mon conjoint qui gère la partie technique, non plus).

Quand on aime...

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Gravure sur blocs de gomme, deux couleurs
15 tirages
Je ne compte pas parce que oui, j'adore ça. Parce que j'aime créer, que je ne sais pas vivre sans créer. Parce que j'aime expérimenter avec le papier, les encres, les motifs, parce que j'aime apprendre de ce que je fais - et de ce que je foire. Parce que j'aime aller vers les gens pour leur parler de ce que je fais. J'aime faire connaître ce média trop méconnu qu'est l'estampe. J'aime parler de mes inspirations, j'aime entendre ce qui touche les autres dans mon travail (s'il est bien quelque chose de magique dans l'art, c'est de voir comment notre travail peut toucher quelque chose chez quelqu'un d'autre, parfois bien loin des intentions que nous aurions pu mettre dans l'oeuvre initiale). Pour toutes ces raisons, je mets le temps et les moyens financiers nécessaires pour créer, mais aussi de faire ma promotion, de présenter mes oeuvres (merci à mon geek domestique qui m'a copieusement aidée à fabriquer les éléments démontables de mon stand), de faire la démonstration de mes techniques.
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Exposition au Jardin du Thé, Grenoble, mai 2013
Du point de vue de la rentabilité, il y a une part de pari sur l'avenir, un investissement pour me faire connaître. Tant que tous les tirages d'une édition ne sont pas vendus, d'un point de vue financier, c'est un capital investi qui reste bloqué dans l'espoir qu'il me revienne un jour en ayant fait quelques (petits) petits.
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Memory II, gravure sur bloc de gomme
8 tirages

Le travail sans la chaîne

Augmenter le nombre de tirages (ou, si l'on parle textile, le nombre de pièces produites sur un même patron) permettrait de réduire le coût de revient par pièce - pas le capital ni  forcément le temps investi au moment de la production, notez bien. Mais surtout, ce n'est pas la logique dans laquelle je souhaite m'inscrire.
Je fais de la création en petite série, pas de l'industriel. Je n'ai nullement l'ambition d'entrer en compétition sur les prix avec les produits qu'on peut trouver en grande distribution, fabriqués en masse sur des chaînes de production entièrement automatisées (dans le meilleur des cas), distribués par des enseignes dont le budget comm fait ressembler le mien à la Terre comparée au Soleil.
Sisi, j'ai un budget comm : j'ai un compte FlickR payant et des cartes de visite. :p
Et je vais de ce pas y adjoindre quelques panonceaux explicatifs pour être un peu plus claire sur mon stand, samedi et dimanche 18 et 19 mai, au Printemps de la Ravoire. Ca me simplifiera un peu la vie de ne pas devoir dire à chaque fois "oui, je fais AUSSI de l'estampe" ou "oui, je fais AUSSI des robes sur mesure".

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