Une question de volume - Jupon, épisode 2

"Voila longtemps, Mesdames, que nous n’avons traité avec vous la question du jupon, et nous croyons prudent d’y revenir aujourd'hui. Nous nous plaisons à croire, cependant, que vous ne vous êtes pas autorisées de notre silence pour négliger ce point tout a fait capital, et pour prendre des licences, qui seraient impardonnables, étant donnés les avertissements et les conseils que nous vous avons si souvent prodigués a ce sujet. Vous savez tout aussi bien que nous, en effet, quelle importance la mode actuelle attribue aux dessous; qu’une jupe se soulève au souffle de la brise, et ce que nous entrevoyons est une révélation suffisante qui nous permet d'apprécier quels raffinements nos élégantes apportent dans l'ordonnance de leur parure intime; par une fantaisie singulière peut-être, mais fort délicate, elle surpasse bien souvent en recherche la partie extérieure et apparente de la toilette. "
La Mode Illustrée, 18 avril 1897

Voir sous les jupes des filles - et quels jupons elles laissent voir

Depuis mon précédent post je suis tombée sur deux longs articles de 1896 et 1897 entièrement consacrés à ce sujet. Pour compléter ce que je disais déjà sur la multiplicité des jupons, la chroniqueuse y distingue trois sortes de jupons. Et il ne s'agit là que de jupons de dessus, celui que l'oeil indiscret (ouhlà, je deviens lyrique, arrêtez-moi !) peut entr'apercevoir sous la jupe.
  • le "jupon d'usage,qui sera porté sous le costume-tailleur, ou sous la robe de laine d’un ordre équivalent. Avant tout, il doit être assez solide pour résister, sans en souffrir, aux caresses un peu rudes de la brosse." Les tissus recommandés sont moirine* et surtout mohair, les décorations réduites à un, voire pas du tout de volant, de fins rubans (ou comètes) de velours, des dentelles "basses" voire "naines" (nous dirions étroites).
  • "Avec la robe de ville élégante, robe de promenade ou de visites, on portera le jupon de mohair avec volant coupé de dentelle que nous venons de décrire ou mieux encore le jupon de soie foncée ou de demi-teinte". Et de le garnir de plus nombreux volants, éventuellement coupés d'entre-deux de dentelle, de tulle, de dentelles... "Jupon plus léger, plus orné" - le tissu s'allège, la décoration se complexifie, on recherche un certaine élégance (pas trop tapageuse quand même) et la solidité n'est plus le souci premier.
  • Viennent enfin les "jupon tout à fait paré, destiné aux toilettes de bal ou de grandes soirées", "jupons très habillés", de soie toujours - que l'on peut supposer claire** - et qui peuvent eux être surchargés de décoration. "On ne devra pas craindre d'accumuler les garnitures,de faire retomber trois ou quatre volants déchiquetés les uns sur les autres, de multiplier les ruches, les nœuds, bref, toutes les fanfreluches et les falbalas imaginables, afin d‘obtenir un ensemble léger et mousseux."
On voit encore une fois l'importance du jupon de lainage, pourtant si peu conservé et peu reproduit. La soie apparaît quand Madame est en "représentation" - pour les visites, les promenades, ou carrément les soirées formelles, bals, sorties au théâtres, et autre occasions über-chwanana. La limite entre ce qui est réellement caché du vêtement (le linge de corps, incluant le premier jupon) et ce qui se montre se pose donc un peu en-dessous de la jupe, et le jupon participe de l'étalage d'un certain statut social. D'ailleurs, on trouve à plusieurs reprises des suggestions pour donner à moindre frais l'impression qu'on porte un jupon plus raffiné qu'il ne l'est en réalité - des volants de soie sur un fond de mohair, pour donner l'impression qu'on est toute juponnée de soie, par exemple.
"Maintenant, Mesdames, nous allons vous dévoiler un petit truc, qu’on nous passe le mot, au moyen duquel vous pourrez vous faire à très peu de frais des jupons presque aussi solides que ceux que nous venons de décrire et beaucoup plus élégants; jupons qui mériteront d'être classés dans le second ordre indique plus haut, Au lieu d'ajouter au fond de mohair des volants pareils, mettez-les en soie de couleur assortie. [...] S‘il s’agit enfin d'un jupon neuf dont il faut acheter tous les éléments, on peut se rendre compte de l'économie qui sera réalisée sur le prix de revient, en adoptant ce système; quant à l'effet obtenu, il est absolument le même que si le jupon entier était en soie."
La Mode Illustrée, 31 mai 1896
"Personne ne devinera la fraude, et le jupon aura tout à fait l'apparence d'un vrai jupon de soie."
La Mode Illustrée, 18 avril 1897
Ou un mohair si fin et d'un coloris si clair qu'il donne l'illusion d'être de la soie.
"Aux mohairs brochés, en grande vogue l’an passé, on préfère aujourd‘hui les mohairs unis, auxquels on est parvenu à donner, non seulement le brillant, mais la finesse de coloris de la soie : en gris, en rose, en bleu de ciel, en mauve,en crème, ils jouent les plus jolis taffetas et, privilège exceptionnel ici, c’est du côté de
l'illusion que sont tous les avantages."

La Mode Illustrée, 31 mai 1896

Jupe cloche et jupon clochette***

J'ai déjà mentionné le rôle essentiel des jupons pour obtenir une
silhouette correcte pour la Belle Époque. A partir de 1893, la jupe s'élargit, jusqu'à devenir, du point du vue de la coupe un cercle presque complet en 1894-95, avant de redevenir de plus en plus collante par le haut à partir de 1897, et carrément tulipe en 1899 - mais là moi, je m'arrête.
Petits schémas démonstratifs à l'appui - les deux croquis ont été décalqués sur des gravures d'époque****, je vous ai rajouté un aperçu du corps à l'intérieur des vêtements - il y a comme qui dirait un vide à combler ! Et encore, on ne voit pas, dans ces croquis de face, l'extension du volume vers l'arrière - le devant restant plutôt plat par rapport au reste. Il faut parvenir à garder en forme une ampleur au niveau de l'ourlet qui peut atteindre les 7 mètres en 1894 (le chiffre est présenté comme un extrême, et le magazine, plus conservateur qu'ultra-fashion, suggère de rester sur quelques 4 mètres 50).
"Tout naturellement, la forme nouvelle des jupes a amené des modifications assez importantes dans le juponnage. Jupons de soie, jupons de mohair se font toujours aussi plats dans le haut, mais beaucoup plus larges dans le bas; de plus, tous aujourd'hui ont un faux-ourlet en mousseline-caoutchouc ou en crinoline, devenu indispensable pour soutenir l'ampleur de la robe et la maintenir bien ouverte, bien évasée. Le jupon-clochette (modèle déposé) est le type du genre. Il est garni tout autour d’un bourrelet de crin qui se dissimule sous un bouillon plissé en manière de ruche. Très léger, très commode et facile à porter, ce jupon nous évitera peut-être le retour de la vraie crinoline, dont nous menacent quelques prophètes de malheur.
Le jupon-clochette se trouvera prochainement dans tous les magasins de nouveautés, mais nos lectrices pourront dès maintenant se le procurer aux magasins du Louvre; il se fait en soie de fantaisie (69 francs) et en mohair (28 fr. 50), avec volant de dentelle."

La Mode Illustrée
, 9 avril 1893
dgc-1894-01-15-jupespatterns
De Gracieuse, 15 janvier 1894
Différents patrons de jupes.
Notre chroniqueuse mode préférée, face à ce large déploiement jupesque, ne cesse de frémir à l'idée de voir revenir à la mode la crinoline (la crinoline-cage de cerceaux d'acier de 1860, à distinguer de celle citée dans le texte ci-dessus, qui n'est que le tissu de crin). Heureusement, l'infarctus lui sera épargné, et on s'en tirera avec deux axes principaux pour obtenir un volume correct :
  • la coupe, le patron proprement dit ;
  • les ajouts de matériaux de soutien, cordes, ganses, baleines... qui aident le juponnage à garder sa forme évasée.
La coupe des jupons ne suit pas exactement celle des jupes, mais elle s'en rapproche souvent. On peut pour ainsi dire (j'ai trouvé une exception) mettre de côté les jupes cloches - coupées en cercle -, et même les "demies cloches" - l'arrière est coupé comme une portion de cercle, la pièce de devant est un trapèze. Pour les jupons, la mode semble préférer des plans de coupe moins gourmands en tissu. Comme ils sont sympas à La Mode Illustrée, ils nous fournissent même des diagrammes et instructions - qui semblent correspondre aux exemples conservés dans les musées, pour autant que les vues pas toujours à 360° le laissent penser.
Jupon d'alpaca, jupon de toile grise
La Mode Illustrée
, 13 juin 1897
La pièce de devant, le "tablier" est en général un trapèze, plus ou moins incurvés en haut (une chronique de 1897 conseille de ne pas trop creuser la taille devant, sous peine de voir l'ampleur de la jupe revenir vers l'avant), en arc-de-cercle en bas. Vient ensuite un lé de côté, un autre trapèze, plutôt plus étroit, souvent en droit fil au côté avant (les textes de 1897 mentionnent une coupe en biais à cet endroit pour les années précédents, mais pas trace dans les années précédentes, donc la sécurité me fait opter pour le droit fil). A l'arrière, un autre trapèze ou un rectangle simplement plissé ou froncé à la taille, éventuellement un haut volant qui vient ajouter du volume. On fait ou non des pinces sur le devant et le côté des hanches. L'arrière, au moins, est coulissé, et la coulisse sert de fermeture.
Jupon à faire soi-même
La Mode Illustrée, 12 avril 1896
La gravure de droite est accompagnée d'une description assez précise des pièces du jupon. J'ai fait le calcul, le jupon d'alpaca a une ampleur à l'ourlet de 206 centimètres, celui de toile 208 - sans compter les volants.
Quelques années plus tôt nous avons ceci :

"[B]eaucoup de femmes, et des plus élégantes, préfèrent laisser à la jupe toute sa légèreté et sa souplesse, et la soutiennent au moyen de jupons très amples (4 mètres), doublés, cerclés ou gansés, additionnés de volants à godets formant tournure."
La Mode Illustrée
, 8 avril 1894
Quand on parle de "tournure" ici, l'idée est de donner un volume additionnel à l'arrière - on ne voit pas le retour de la queue de homard ! Le diagramme de gauche me semble assez proche du type de volant mentionné.
Mais tout ça ne dispense pas de tricher un petit peu et d'ajouter quelques bonus volumétriques à la présentation de la marchandise...

Bustle is not dead


Une tournure sur un mur
Qui picorait du pain dur
Picoti-picota
Lève les fesses

Et puis s'en va !
Ou alors ça ne s'est peut-être pas exactement passé comme ça, le fessier ampliforme n'a peut-être pas disparu subitement d'un coup en 1889-90. Comme toujours, la mode ça reste une évolution graduelle. Chronique mode d'avril 1894, déjà citée plus haut :
Nouveau jupon avec tournure,
L
a Mode Illustrée, décembre 1897
"Enfin, la plupart des couturières fixent à la ceinture de la jupe par derrière, une petite tournure ayant à peine la grandeur de la main; elle se fait en crin-crinoline, et se compose d'un bourrelet diminué à chaque extrémité, de manière à figurer assez exactement un croissant, auquel on ajoute un volant haut de 15 centimètres, monté à plis ronds."

Les traces de ce genre d'objets restent assez rares, ceci dit. Je suis tombée sur l'image ci-dessus, malheureusement non sourcée - contrairement à mes habitudes je l'inclus quand même dans le post car elle correspond vraiment à la description et... c'est la seule que j'aie.
jupon-tournure
De Gracieuse, décembre 1897
Diagramme de la page des patrons
Une gravure de ma collection fait aussi écho à cette tournure tardive - mais malheureusement, pas de précisions sur comment est faite ladite tournure. S'agit-il d'un simple "pouf" de taffetas froncé ? Doublé peut-être d'un tissu plus raide ? Y a-t-il en-dessous un coussinet quelconque ? J'en suis réduite aux hypothèses hypothétiques. La gravure est reprise par le journal néerlandais De Gracieuse, dix jours plus tard, avec un patron, maaaaaaiiiis.... le scan est de trop mauvaise qualité pour lire les instructions de montage, nom d'un petit ratafia tout vert !

Mais bon, je ne vais quand même pas vous faire tout un paragraphe pour vous dire que j'ai deux pauvres exemples imprécis et mal sourcés. Nan, il y a une autre survivance de la tournure : la baleine.
"The skirt has the usual spring, stands out well at the back, not only because it is stiffened, but because around the edge is sewed the covered bone that comes for this purpose." (La jupe s'évase comme de coutume, elle est largement projetée en arrière, non seulement parce qu'elle est pourvue d'une doublure raide, mais parce qu'on a cousu au bord inférieur la baleine couverte spécialement faite pour cet usage.)
Ladies' Home Journal, 1895
"On met dans le bas des jupes, pour les soutenir et les maintenir bien ouvertes, trois aciers d'une extrême souplesse, que l'on coud, entre l'étoffe et la doublure, sous un faux-ourlet en mousseline raide, en laissant un intervalle de 10 centimètres : 1° entre le premier ressort et le bord de la robe ; 2° entre les trois cercles. ces aciers, aussi minces et aussi flexibles qu'un ressort de montre, , ont à peine 1 centimètre de largeur ; ils sont recouverts d'une enveloppe de coton, afin qu'ils ne coupent pas l'étoffe. Loin de donner à la robe une raideur gênante et disgracieuse, ils en suivent docilement les plis et les ondulations et se prêtent à tous les mouvements."
La Mode Illustrée, 28 janvier 1894
La Mode Illustrée, 26 mars 1893
On emploie aussi ces baleines d'acier, ces "cerclettes", pour les jupons ("doublés, cerclés, gansés..."). Soit tout autour, au niveau de l'ourlet, soit à mi-hauteur comme pour ce "jupon de dessous pour jupe-cloche".
"On coupe ce jupon entier en soie ou en lainage d'après la fig. 1 qui n'en représente que la moitié; on le double depuis le bord inférieur jusque sur la ligne avec de l'étoffe semblable, on le pique cinq fois, trois fois et deux fois sur des ganses (voir l'intérieur du jupon), et derrière sur les doubles lignes pour y passer un cercle; on assemble le jupon depuis 1 à 2. Pour le volant on coupe un morceau ayant 3 mètres, 45 centimètres de hauteur; on fixe au bord inférieur de ce morceau un volant de même étoffe ayant 20 centimètres de hauteur, et l'on coud le premier morceau sur la ligne du jupon depuis le double point au double point. On coud à l'intérieur du jupon sur les lignes, depuis l'étoile à l'étoile des morceaux de doublure pris double ayant 20 centimètres de largeur; on les munit d'oeillets pour passer un ruban qui sert à retenir le jupon. On fait les pinces dans le jupon, on le plisse en fixant chaque croix sur un point, on le garnit avec une ceinture."
La Mode Illustrée, 26 mars 1893
Niveau patron, ce jupon est l'exception dont je parlais plus haut : assorti en quelque sorte aux jupes cloches, il est taillé d'une seule pièce (+ volant + partie lacée). Au niveau de la structure de soutien, il réutilise les recettes de la décennie précédente : une partie extérieure baleinée, plus large que la partie intérieure qui est lacée et resserrée derrière les genoux.
Souvent mode varie : en décembre 1894, les cerclettes d'acier apparues au printemps de la même année, accusée de "coup[er] l'étoffe, ont été mises de côté", et on leur préfère celle de baleine.
"Généralement, ces jupons se garnissent de deux volants froncés, hauts de 15 centimètres, et gansés au bord sur trois, quatre ou cinq rangs se touchant. Très souvent, on glisse une cerclette dans l'ourlet du jupon : c'est un grand tort, car elle se déforme rapidement, se casse en maints endroits et ne tarde pas à percer l’étoffe; une bande de crin ou de mousseline raide la remplace avantageusement."
La Mode Illustrée, 31 mai 1896

Doublures et falbalas - l'utile et l'agréable

Notre jupon à tournure ne se contente pas d'un petit bout d'acier ou de baleine, il emploie aussi le classique volant (plus de tissu dans le bas) et des rangées horizontales de ganse (pour raidir le tissu dans la largeur). C'est une combinaison qui semble courante dans les textes.
"On garnira le bas d‘un seul volant froncé, haut de 20 a 25 centimètres, ou de trois petits volants ayant de 7 a 10 centimètres‘ On les gansera si l’on veut sur trois ou cinq rangs (selon leur plus ou moins de hauteur), au moyen d’une grosse ganse de coton qui se trouvera prise entre l'étoffe et un faux ourlet, et serrée de chaque côté par une piqûre à la machine; les ganses seront séparées les unes des autres par un intervalle d’un demi-centimètre. Cette préparation a l'avantage de donner du soutien aux jupons, aussi est-elle très adoptée, aussi bien pour ceux de soie que pour ceux de laine; mais en revanche, elle est longue et ennuyeuse a exécuter. Pour simplifier les choses, on peut se contenter de mettre une seule ganse un peu grosse tout au bord des volants; on se sert, pour la recouvrir, d’un petit biais d'étoffe que l’on replie en le bâtissant à grands points, puis, que l'on coud au bas du volant et que l’on rabat ensuite a l’envers, exactement de la même façon que pour poser un liseré."
La Mode Illustrée
, 18 avril 1897
Le magazine en 1893 recommande une ganse "ayant à peu près la grosseur du doigt" - c'est pas de la petite bête ! Je me dis que celle que j'ai achetée est peut-être un peu fine, finalement.
1893-06-11-garnjup1
Garniture de jupes et jupons,La Mode Illustrée, 11 juin 1893
Pas grave, au pire elle me servira pour froncer la tête de mes volants - autres technique très courue. On la retrouve là, à gauche, et dans deux extraits du Delineator de 1896, mis en ligne ici, qui détaillent les décorations de jupons.
The Delineator, 1896
Je vous mets directement quelques exemples à droite parce qu'ils sont assez typiques des combinaisons de décorations qu'on trouve sur les jupons de l'époque.
The Delineator, 1896
The Delineator, 1896
"On les garnit [= les jupons] soit de trois petits volants à tête (7 centimètres), ayant au bord une dentelle très basse, valenciennes ou guipure; soit de volants découpés en dents pointues, déchiquetés sur le bord, et finement plissés a la machine; tantôt ces volants tournent simplement autour du jupon, en suivant la ligue droite; tantôt ils sont disposés en guirlandes de façon à former de larges dents de feston arrondies ou pointues. On met alors en cercles dans le bas deux ou trois volants déchiquetés retombant un peu l'un sur l'autre ; puis, avec un volant plus haut (15 centimètres), que l’on recouvre très souvent d'une dentelle, on décrit la guirlande; la pointe des dents retombe en plein sur la première garniture, tandis que dans le creux qui les sépare. le haut volant remonte assez pour laisser voir cette garniture tout entière. Une ruche en taffetas découpé ou en dentelle cache la monture du volant mis en festons et l'on peut ajouter si l'on veut, à chacune des pointes un noeud en ruban, ou un chou en comète, accompagnés de flots tombants ou de longues bouclettes."
La Mode Illustrée, 31 mai 1896
Jupon en taffetas changeant,
La Mode Illustrée
, novembre 1896
Jupon de soie, fin XIXème,
Abiti Antichi
Le jupon de soie de chez Abiti Antichi, à gauche, nous montre une autre jolie combinaison de décoration à peine délicates à mettre en place - insertion de deux dentelles différentes, insertion de croquet entre les bandes de dentelle, plis verticaux, plis religieuse. Et j'ai presque le même modèle en gravure, à droite en 1896.
Un autre exemple de la surcharge de falbalas et chwananas qui viennent à la fois décorer le bord du jupon et le renforcer, avec ce modèle de pékin de soie de 1898.

Comme lui c'est mon petit chouchou, je vous mets la description dans son intégralité :
"Jupon en soie pékin à rayures noires et blanches
Ce jupon en soie à rayures noires et blanches, et garni de dentelles noires et d'entre-deux de dentelle. Le jupon muni au bord supérieur d'une coulisse, se termine au bord inférieur par deux volants découpés en taffetas blanc, recouverts d'un volant en même étoffe ayant 50 centimètres de hauteur. Sur ce volant retombe un volant en mousseline de soie blanche, se composant de morceaux isolés, réunis par des entre-deux étroits de dentelle. Chaque morceau isolé est orné d'entre-deux en dentelle fixés à jour, auxquels se rattachent des volants étroits en mousseline de soie, garnis de dentelle; on emploie pour les rangées supérieures des entre-deux et des dentelles plus étroits, et pour les rangées inférieures des dentelles plus larges. Sur le devant du volant, on dispose l'entre-deux des deux côtés jusqu'au bord inférieur. Le volant est garni au bord inférieur avec un étroit volant en mousseline de soie, terminé par une dentelle noire, et se termine au bord supérieur par une petite ruche en mousseline de soie blanche, posée sur un étroit volant en dentelle froncée."
1898-03-13-jupon
Alors bien sûr, on est là dans du jupon très habillé, ultra-chwanana. Mais considérons un instant la quantité de tissu à l'ourlet du jupon - admettons pour ce faire que le pékin de soie ne descende pas jusqu'en bas, mais soit remplacé au niveau de l'ourlet par les "deux volants découpés en taffetas blanc" (ce qui n'est, avouons-le tout de suite, qu'une supposition. Nous avons :
  • les deux volants de taffetas,
  • recouverts d'un troisième (haut de 50cm),
  • par-dessus, encore un volant, de mousseline ce coup-ci,
  • qui comporte en bas un autre volant de mousseline, terminé par une dentelle.
  • Et retombe par-dessus ce dernier volant le petit volant de mousseline + dentelle qui était accroché au niveau de l'entre-deux de dentelle.
  • Plus la doublure.
Ce qui nous amène à un total de 6 épaisseurs au bas du seul jupon supérieur - les trois premières ayant la raideur du taffetas, les suivantes avec une dentelle, donc une couture horizontale qui, elle aussi, rigidifie l'ensemble.
Doublure, disais-je ? Et oui, qu'elle soit intégrale ou qu'il ne s'agisse que d'une parementure de mousseline apprêtée, de crinoline ou de toile-tailleur venant raidir la jupe sur une quinzaine de centimètres de haut. Souvent, c'est précisément dans ce "faux-ourlet" que l'on fixe les ganses, crinolines et autres "mousseline-caoutchouc" (La Mode Illustrée, avril 1893 - et non, je n'ai toujours pas vraiment idée de ce que c'est que cette dernière, enfin j'ai des idées, mais aucune qui soit confirmée).
"Nous conseillons vivement à nos lectrices de mettre toujours une doublure aux jupons de soie : quelque légère qu'elle soit, elle donnera du soutien au tissu,et lui assurera. une plus longue durée."
La Mode Illlustrée
, 18 avril 1897

Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme en jupons

Un dernier point, que j'aborderai rapidement car il ne concerne pas vraiment mon projet, c'est le réemploi de vêtements usés ou démodés. N'ayant pas une garde-robe à transformer, je vais devoir me rabattre sur le tissu neuf, moi. Au sujet des soies avec lesquelles faire des jupons :
"[N]'oublions pas dans cette énumération les soies démodées, au point de vue des dispositions ou de la couleur, ni même des soies défraîchies, ce qui signifie que l‘on trouvera là une occasion précieuse d'utiliser les robes considérées comme hors d'usage et mises au rebut, soit en raison de leur demi-usure, soit parce qu’elles ne répondent plus exactement au goût du jour. Avec un peu d'adresse, il sera facile de les transformer en de superbes jupons. L'étoffe est-elle fanée? On voilera les volants, froncés ou plissés, d‘une dentelle de même hauteur qui les réduira au rôle secondaire de transparent. [...] Si l'on était un peu à court d'étoffe, on ajouterait un ou deux volants en taffetas unis, assortis à la couleur dominante de l'étoffe, et que l’on mêlerait aux autres; si la soie était de teinte unie, on pourrait faire ces volants ajoutés, d’une nuance tout à fait tranchante, et les voiler de dentelle. Sur la tête des volants, on fera courir des ruches en soie déchiquetée, en ruban de gaze ou de satin, en dentelle. [...] Si la robe que I‘on cherche à utiliser était extrêmement usée et n'offrait que des ressources fort limitées, on pourrait encore en tirer bon parti en faisant le fond du jupon en mohair et en garnissant le bas seulement, soit d’un grand volant, aussi haut qu’il sera possible de le faire, soit de plusieurs petits volants superposés, faits avec les meilleurs morceaux de l'étoffe; les coutures disparaissent dans les fronces."
 La Mode Illlustrée, 18 avril 1897
Alors on pièce, on réutilise, mais contrairement à ce qu'on peut voir un siècle plus tôt, on essaie de le cacher et de faire comme si, on planque les "couture[s] malencontreuse[s]" - tiens, il serait intéressant de regarder à partir de quand on planque les coutures, les points visibles, les pièces (mais là, non, pas ce soir, hein, le post est déjà bien assez long !)

"C’est ainsi qu’une robe de bal défraîchie peut fort bien être utilisée pour les jupons du soir; étant nettoyée avec soin, ou même (si elle est blanche) teinte d’une couleur tendre, elle se transformera aisément en jupon de luxe; il suffira pour cela d'une garniture disposée avec goût, d'une dentelle, d'une ruche, arrivant à propos à dissimuler une couture malencontreuse, ou quelque tare d'un autre genre."
La Mode Illustrée, 31 mai 1896
J'avais l'intention de coupler ce post avec le making-of de mon jupon de taffetas, mais vu la longueur, je vais laisser un peu de repos aux yeux et au cerveau des valeureux lecteurs qui seront parvenus jusqu'ici (merci !) et je mettrai la suite dans un troisième épisode. Je vous jure, ce projet prend des proportions qui m'effraient un peu des fois - mais ce serait mentir de dire que je n'adore pas ça.

*qui semble être un tissu à carreaux, probablement un lainage. Une image de jupon en moirine plus tardif (tiré de La Mode Illustrée aussi) ici chez La Retourneuse de Temps.
**le texte suggère de réutiliser les anciennes robes de bal - robes claires le plus souvent, et de soie toujours.
***oui, les deux termes sont d'époque
****les erreurs de proportions deviennent soudain flagrantes...

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