Gravures de mode - Des crinolines !

Ma justification probablement un peu oiseuse pour mes achats compulsifs de magazines anciens, c'est que je les sauvegarde en les partageant en ligne.
Gravure de mode, juin 1853
Juin 1853

Du coup si je veux tenir parole face à ma conscience et à mon compte en banque, il faut que j'y consacre régulièrement un peu de temps. Terrible épreuve pour moi, vous vous en doutez !Aujourd'hui je sors (virtuellement) de ma bibliothèque un volume du Conseiller des Dames de 1852 et 1853. Les gravures sont en excellent état, elles ont été superbement conservés à l'intérieur des pages du livre, les dessins sont fins et délicats, les couleurs impeccables.
Pour une fois, j'ai dans ce volume des gravures couleur avec les descriptions correspondantes... par contre je vous préviens, ça pique un peu vu depuis notre époque :
"La première figure placée à gauche de la planche est celle d'une petite fille de quatre à cinq ans ; cheveux de devant en bandeaux ; les cheveux de derrière partagés en deux : chaque partie forme une natte, que l'on fait revenir sur le sommet du front, de manière à former un diadème ionien. Robe de mousseline claire, portée sur une robe de dessous en jaconas glacé ; corsage décolleté, à la vierge, et de forme ronde ; dos plat et boutonné ; le devant forme plastron à échelle de bandes festonnées ; le décolletage du corsage est bordé d'une galerie composée d'une bande festonnée et brodée, assortie aux quintuples volants de la jupe. Manches petites, agrafées par un nœud de ruban, à doubles pans flottans [sic]. Jupe écourtée, très ample, formant ballon, et décorée, comme il vient d'être dit, de bandes brodées aux points de plumes et de plumetis, avec feston au point de roses. Pantalon de nansouk, garnitures assorties. Bas de fil d'écosse, bottines en coutil de soie ; ceinture en ruban de taffetas, assortie aux nœuds d'épaules. Cette ceinture est attachée derrière ; le nœud est fait à l'avance, et recouvre deux agrafes et deux portes invisibles. Chapeau créole en paille suisse ; pelisse d'été en taffetas."
Il y a pas mal de références que je n'ai pas dans ces descriptions, ou alors de façon seulement imprécise. Le "fil d'écosse" c'est de la laine, mais plus que ça... ? Même en l'ayant rencontré à plusieurs occasions, je ne suis pas sûre de ce qu'est un "corsage à la vierge", non plus.
"Il est aisé de reconnaître une sœur aînée dans la jeune personne qui dispose des fleurs dans une alcaraza de Venise ; à son air modeste et réservé, on voit qu'elle comprend déjà le rôle si beau, si honorable de la mère de famille, rôle sacré, auquel elle prélude en surveillant ses jeunes sœurs dont elle doit être le modèle. La mise de cette jeune demoiselle est en rapport avec son caractère et l'excellente éducation qu'elle a reçue ; les ornements dont quelques parents s'amusent à entourer les premiers âges s'effacent à mesure que les enfants croissent en savoir, en mérite, en beauté ; les accessoires doivent disparaître devant les qualités réelles, c'est pour cela que la jeune personne de notre gravure porte simplement une robe-caraco en valencias illirien, disposition créée en fabrique ; corselet à basquine ; jupe bayadère ; le corselet est noué de rubans assortis, avec nœuds composés d'une double coque ; ces nœuds sont à pans flottants, genre Watteau. Guimpe Geneviève en mousseline brodée ; sous-manches duchesses finement brodées ; cheveux en bandeaux demi-bombés."

En général je m'attends à ce genre tirade bien réac du côté des articles plus généraux, pas au milieu des robes... ça picote !

"Petite fille agenouillée, à droite : Cheveux relevés, à racines droites, genre de Greuze ; canezou de mousseline claire porté sur un corsage François 1er, échancré carrément, et bordé d'un petit revers qui descend en se rapprochant jusqu'au niveau de la ceinture ; basquette tournante ajourée, manches demi-gonflantes, un peu resserrées au milieu de l'avant-bras, et se terminant par un petit sabot assorti. Jupe de taffetas ; bracelets helvétiques en velours ; quatrième petite fille, portant une ombrelle, cheveux séparés à la Madone,  contournés par le bout et noués de petits velours, qui réunissent les cheveux de derrière à ceux de devant. Déshabillé de mousseline de couleur, unie ; ce déshabillé se compose d'un caraco encadré d'une bande tuyautée et festonnée ; manches demi-pagodes, à deux étages tuyautés. Jupe ornée d'une double Fontanges, formant deux volants à tète et festonnée. En dessous du caraco une guimpe à basquines rondes, se boutonnant derrière ; sous-manches de tulle, forme marquise."
Le moins qu'on puisse dire c'est qu'on aime les références historiques en 1853 : Greuze, François premier, Fontange...

Novembre 1852
Novembre 1852
"Mises d'automne, visites. - Nous n'avons plus à la campagne que des retardataires ou de pacifiques habitants, sachant procurer à présent, grâce à la facilité des communications, grâce aux progrès de l'industrie, un confortable que ne connaissaient pas nos pères ; mais tout l'essaim de nos belles émigrantes, tout le flux fashionable rentre chaque jour à Paris ; nos jolies femmes sont l'opposé des hirondelles, le printemps éloigne de nous les unes et nous ramène les autres ; nos élégantes quittent la capitale aux premiers beaux jours et n'y reparaissent qu'avec les frimas !..."

Le volume commence en novembre, peut-être parce que Madame s'est abonnée justement au début de la saison mondaine ?

"Au retour, les visites sont l'acquit d'une obligation ; elles motivent des toilettes d'un genre recherché, un peu sérieux, étoffé et composé, autant que possible, des primeurs de la saison. Notre planche d'aujourd'hui offre deux mises de ce genre, dont voici la description :
Dame se tenant debout. - Paletot-talma en cachemire pur ; la forme de ce vêtement est assez bizarre; c'est l’assemblage  d'un devant de paletot-mousquetaire, à tout petit collet roulant, avec petit cran et cassure et d'une vaste rotonde ou pèlerine, montée sous le collet. Cette rotonde est à pans aigus par devant ; du velours coupé par bandes, et la pièce, décore le bord de ce vêtemen [sic] qui se ferme devant à l'aide d'un double rang de boutons de soie, forme-grelot. Capote de taffetas, avec petit fanchon, en arrière de la forme. Robe de pékin glacé, corsage de rechange; ici, il est à la Watteau ; guimpe hongroise , formée de petits plis, d'entredeux de valenciennes et de bandes brodées anglaises. Sous-manches duchesses. Mouchoir d'automne."

Ok, je vois le mouchoir. Par contre pour le corsage je dois faire appel à mon imagination : qu'est-ce que "Watteau" veut dire dans ce contexte ?!? Les robes "à transformation" avec corsage de jour et de soirée, c'est courant au milieu du XIXème, c'est la première fois que je vois l'expression "corsage de rechange". Et si c'est un "corsage de rechange", à quoi ressemble l'autre corsage ?

"Dame assise. - Capote mi-partie taffetas et crêpe, avec plumes latérales; mancinis formées de roses de Chine et d'un fouillis de tulle illusion. Le bord de la capote orné d'une guirlande de gueules de loup, en ruban. Robe de poult de soie, à fleurs ressortantes, corsage chatelaine, encadré d'une dentelle noire de Chantilly ; manches progressives, sous-manches régence, corsage ajusté, à basques tournantes. Gilet-fichu de forme droite, mouchoir illustré.
Chaise Louis XIII, fauteuil style Louis XIV."

Les "mancinis" ça a l'être d'être les petites décorations à l'intérieur du chapeau,d es deux côtés du visage. Mais le rapport avec Mazarin ? Le "poult-de-soie" est une "étoffe de soie épaisse, sans lustre et à côtes". Du coup une sorte de damassé à motifs floraux ?
Et on va même vous parler des CHAISES !

Décembre 1852
Décembre 1852
"Moïse, au grand Opéra, la réouverture désirée de l'Opéra-Italien donnent lieu à de brillantes parures, rappelant du reste, à quelques exeptions près, celles des mises adoptées dans le grand monde ; ce sont de ces toilettes que nous avons voulu reproduire afin de donner à nos lectrices un aperçu de ce que sera la mode dans les réunions de cet hiver.
Notre planche d'aujourd'hui représente donc deux mises de spectacle ou de bal. Jeune et fraîche comme l'églantine s'entrouvrant aux premières matinées du printemps, la jeune personne placée à gauche de la planche a choisi le blanc et le rose pour colorier le cadre modistique au milieu duquel elle doit apparaître ; sa coiffure, de demi-hauteur, ne se compose que d'un ruban à bords touchés d'argent, ruban mélangé de gaze de satin plein et de crépine d'argent, style guipure, cheveux en bandeaux demi-bombés laissant, apercevoir un peu le bout de l'oreille, et les françaises ont généralement l'oreille petite fine et spirituelle."
EXCUSEZ-MOI je fais une pause. L’oreille spirituelle ?!? Non même le Littré ne pense pas que ça aie du sens...
"Robe de satin, corsage busqué et pourvu de revers dentelés en dents de loup, avec blonde étroite coquillée et badinée autour de chaque dent. Manches courtes du même style, très courtes, et de l'intérieur desquelles s'échappent de petites engageantes, également en blonde, formant une série de petits tuyaux réguliers, hauts de six à huit centimètres tout autour du bras. Deux jupes, la première descendant jusqu'au dessus du genou dentelée, comme nous venons de le dire; seconde jupe pourvue d'un haut volant ayant pour recouvrement une ruche perlée ; la ruche perlée se produit à l'aide de deux filets glissant dans chacune des bordures, ce qui produit des plis, lesquels, contournés par des doigts habiles, prennent une forme arrondie et prennent l'aspect de grosses perles; ce second volant est lui-même à dents découpées et joue sur une jupe extrêmement ample et faisant un peu la traîne."

Détail intéressant : la description nous indique (vaguement, je vous l'accorde) comment réaliser un certain type de manipulation textile (ça devait être plus clair pour la lectrice de l'époque qui avait d'autres exemples en tête pour comparer).
Pour rappel, la blonde c'est un tissu de soie, et les "tuyaux" sont à rapprocher des "plis tuyaux d'orgue" aussi appelés "plis canon".

"La seconde mise rappelle le genre Watteau ; c'est une robe de damas moderne, en nuance tendre à effets en relief ; le corsage est busqué devant et derrière, très décolleté, très ouvert ; revers figurés par une ruche de rubans à la vieille, formant le tour du décolleté, devant et derrière, sur des dentelles droites badinées tout autour; le plastron du corsage se compose d'une plaque de point d'Alençon, sur lequel passent trois traverses fermées d'une bande de ruban que recouvrent autant de ruches à la vieille ; jupe spacieuse recouverte en entier par trois volants progressifs d'Alençon assortis au revers et aux engageantes du corsage ; chaque volant a pour tête une ruche progressif [sic, je vous jure] à la vieille. La coiffure de fleurs est à la grecque, et rappelle les types antiques formant tout à la fois diadème et couronne poétique. Cette disposition a l'immense avantage d'allonger un peu le visage, d'exhausser le front et de lui donner le type que l'on admirait avec raison à Mithilène et à Athènes."

La Grèce antique, toujours une valeur sûre. On va même la mentionner quatre fois en deux phrases pour bien enfoncer le clou !
Par contre je sèche sur le "progressif" comme les ruches (autrement dit "petite bande de tissu froncée pour faire du relief", aucune abeille là-dedans) "à la vieille".

"Pour sortir du spectacle ou du bal, nous trouvons sur notre planche deux pardessus d'un genre totalement différent ; avec la mise de jeune personne, c'est une rotonde de cachemire blanc à petit capuchon plat en satin, borduré d'une très haute angleterre ; des bandes bayadères de ruban assorti à la nuance du capuchon, forment une double roue autour de ce pardessus qu'entoure un second volant progressif.
La dame portant la robe Watteau a un manteau de voiture en velours, à manches vénitiennes, le vêtement entièrement doublé d'hermine."

Donc "angleterre", sans majuscule, comme raccourci de "broderie anglaise" je suppose, au vu de la gravure. "Bayadère" semble être une sorte de rayure....
Wait ! J'ai compris le "progressif" du coup, c'était moins visible dans l'autre cas mais c'est simplement que le volant n'est pas de la même longueur partout ! (je sens que je viens d'inventer l'eau tiède)
Bon, pour les "manches vénitiennes" par contre, on n'en voit pas grand chose, et ce n'est pas quelque chose que j'ai déjà remarqué...

Je vais vous distiller ces beauté tout doucement, il y en a beaucoup à voir et les descriptions sont sacrément longues... mais on va reparler corsets avant !
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