Livre et exposition - Marche et Démarche au MAD

La chaussure, c'est cette petite chose accessoire, souvent laissée de côté et pourtant essentielle pour compléter avec justesse une reconstitution de tenue historique. C'est aussi un domaine de connaissance en soi - et personnellement un domaine où je ne suis pas hyper calée.

Quand j'ai découvert le costume historique, les ressources sur ce qu'on peut bien se mettre aux pieds étaient assez rares, les chaussures historiques à mettre aux dits pieds encore plus. Rare genre "arracher la semelle d'un escarpin au couteau à beurre pour le transformer en chaussure XVIIIème".

Le Musée des Arts Décoratifs propose une exposition entièrement consacrée à la chaussure ? J'étais partante. Et j'avais des attentes. Maaaaaaiiiis....

Une mise en scène décevante

Autant le dire tout de suite, je n'ai pas été rayonnante de joie tout au long de l'exposition, ni à sa sortie. Au niveau du contenu, il y avait énormément de chaussures présentées. Et des belles.

Par contre pour la présentation... Les vitrines étaient mal adaptées à leur contenu (les montants en plein milieu, trop bien !), les cartons étaient mal placés, les objets présentés peu ou mal visibles. J'ai passé mon temps à m'accroupir pour être au bon niveau. Un vitrine entière n'a carrément eu droit à aucun aménagement intérieur, et aucun numéro non plus.

Et on va classer par hauteur de talons, ça ça va apprendre des choses au visiteur !

Pour tout arranger, c'étaient les derniers jours de l'exposition, donc beaucoup de monde pour faire ressortir les soucis de circulation. Le genre d'embouteillages qui peuvent arriver quand tu as une grosse vitrine au milieu de la pièce, avec nécessité de regarder les deux côtés si tu ne veux pas louper des cartons, et rien sur les murs autour.

Un joli catalogue

Si je fais quand même cet article, alors que l'exposition est finie et que, de toute façon, Covid19, c'est que le Musée des Arts Décoratifs a édité un catalogue d'une taille et d'une épaisseur fort raisonnables avec de belles photos dedans.

La jaquette reprend la très belle affiche de l'expo, l'intérieur est en beau papier glacé, bien relié (oui je suis encore traumatisée par certains catalogues du Palais Galliéra qui partent en feuilles volantes après une demie-lecture). Il y a beaucoup de photos - et si le livre ne contient de loin pas l'ensemble des pièces exposées c'est parce qu'il y en avait VRAIMENT beaucoup, plus qu'un signe de pauvreté du bouquin.

Chaussures 1800 d'amour, pas trouvées dans le catalogue, snif !

Par contre le sous-titre Une histoire de la chaussure, ça c'est un peu des craques. Du côté des textes, on a en fait une collection d'articles thématiques - le confort, les talons, la chaussure d'enfant... Certains sont organisés de manière chronologique, d'autres se concentrent sur une chaussure, ou un type de chaussure.

XXème siècle, XVIIIème siècle, XIXème siècle, paye ton respect chronologique

Les textes sont un peu inégaux, pas mal de bonnes choses, mais aussi, très (trop) souvent des textes anciens repris sans analyse critique. C'est un truc récurrent en Histoire de la Mode et c'est toujours aussi gênant quand on est au niveau des pieds : une source, si on ne la remet pas en contexte, si on ne regarde pas pourquoi la personne qui écrit écrit ce qu'elle écrit, ça a une valeur très limitée.

Exotisme et fétichisme

L'expo y consacrait toute une salle, le livre propose plusieurs articles sur le sujet : les petits pieds. Les pieds bandés des chinoises, et les supposées pratiques de contraintes de la taille du pied féminin en Occident. C'est spectaculaire, ça frappe l'imagination, c'est du divertissement... mais est-ce qu'on apprend  quelque chose pour autant ?

Chaussures de Juliette Récamier, présentées sans référence à la TAILLE de Madame Récamier
(indice : pas grande du tout)

Sur les pieds des Chinoises, je n'ai rien appris de neuf - les chaussons sont de superbes objets, ceci dit. Pour les femmes occidentales, je suis pas mal mitigée sur les conclusions.

Peut-on mesurer la longueur supposée d'un pied en posant une chaussure à talon sur un gabarit plat ? Je ne nie pas qu'on aime bien de nos jours avoir les orteils un peu plus à l'aise que ce qui était la norme il y a un ou deux siècles, mais... un peu de mesure dans le propos ? De distance critique ? A trop vouloir prouver que les femmes avaient des "petits" pieds, on finit (aussi bien dans l'expo que dans son catalogue) par prétendre que les femmes ne pouvaient presque pas marcher sur les dits pieds. Avant l'invention de la bicyclette, du métro et de la Fiat Panda, c'est un peu fort de café.

C'est peut-être la conséquence d'une histoire de la mode (dont les chaussures font partie) qui ne prend en compte que les femmes aisées à carrément blindées de thune. Problème récurrent hélas à trop d'expos sur le sujet - le costume populaire souffre d'un biais de conservation, auquel s'ajoute un biais de présentation, double peine.

Le rich & famous, les starlettes et la noblesse, ça on le montre. Le peuple, les chaussures du quotidien ? Inexistantes - à part les sabots. Les sabots, c'est iconique, c'est une forme d'exotisme local, du patrimoine qui sent bon le jambon et la tome de chèvre. La chaussure d'une ouvrière ou domestique, c'est moins vendeur faut croire.

La modernité : art, sport et luxe

Le biais est encore plus visible quand on arrive à la période moderne. La chaussure quotidienne disparaît de plus en plus au fur et à mesure qu'on avance dans le temps, et la proportion de Louboutin augmente en proportion.

Je n'en ai pas pris beaucoup en photos parce que ça ne me parle absolument pas, mais l'espace consacré aux Louboutin était suffisamment important pour éclipser toute autre marque moderne.

En dehors des chaussures de luxe, la modernité semble se limiter aux chaussures de sport, un peu aux chaussures militaires, et à l'art contemporain - il y avait d'ailleurs des choses superbes dans cette dernière partie de l'exposition, et un lien plus important avec le thème de la démarche, peu abordée à travers les thématiques précédentes.

N'empêche, je trouve dommage que Marche et Démarche nous promettait "Une Histoire de la Chaussure". Au final, l'exposition et son catalogue se sont surtout concentrés sur tout ce qui est spectaculaire, au détriment de la chaussure du quotidien. J'ai regretté aussi le peu d'informations sur les techniques de cordonnerie. Il y a des gens qui travaillent à reconstituer des chaussures anciennes avec des techniques d'époque, je persiste à penser que ce genre de choses intéresse au moins autant le public que les cauchemars sur les pieds bandés.

Est-ce que le catalogue en vaut la peine ? Sans conteste, c'est un beau livre, riche en photos de chaussures anciennes. Par contre, ce n'est pas un ouvrage de référence.
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